Comme les autres langues " peu diffusées ", l'arabe devrait quitter peu à  peu les collèges. L'enseignement des langues étrangères en primaire  entraînera la disparition des langues rares et difficiles. D'après une  note d'information du ministère de l'Éducation portant sur  l'enseignement des langues vivantes étrangères dans le premier degré en  1999-2000, l'anglais est la langue la plus étudiée (79,8 %), bien devant  l'allemand (15,2 %) l'espagnol (2,4 %) et l'italien (1,3 %). En effet,  les instituteurs chargés de ces initiations maîtrisent le plus souvent  l'anglais, ils sont rarement formés pour enseigner une langue orientale.  " Même pour l'allemand, nous essayons de mettre en place des sites,  mais il est en pleine perte de vitesse ", confirme l'inspecteur  d'académie, M. Neyreneuf. L'italien ou le portugais ont ponctuellement  réussi à se maintenir, mais pas l'arabe. Les instituteurs venus des pays  du Maghreb qui enseignaient déjà en primaire dans le cadre des  enseignements langue et culture d'origine (ELCO) destinés aux  communautés immigrées, auraient pu assurer les cours d'arabe langue  étrangère, mais aucun accord n'a été trouvé avec les consulats. Et le  projet a été abandonné. Une fois l'anglais commencé en primaire, il y a  fort à parier que les élèves le choisissent comme première langue  vivante (LV1) au collège. Ainsi, d'après la note du ministère, en  1999-2000, près de 90 % des élèves apprenant une langue vivante  étrangère en 6e choisissaient l'anglais.
" Mettre en place une  classe d'arabe dans un collège, implique que le recteur d'académie, le  principal et le conseil d'administration de l'établissement y soient  favorables ", explique Mme Tahhan, inspectrice d'académie. La carte des  langues en France dépend de ces volontés personnelles. Certains sites  ont développé l'enseignement de l'arabe et d'autres pas, sans logique  apparente. Roubaix y a été favorable, Tourcoing pas. Lyon n'a jamais  pris cette orientation, alors qu'elle a été développée sur  Aix-Marseille. Il n'existe aucune structure à Besançon, un seul lycée à  Metz, mais plusieurs à Strasbourg. Partout des solutions de fortune sont  tentées. Cours regroupés sur un site pour plusieurs collèges dans  l'Oise, enseignement par visioconférence à Toulouse, cours du Centre  d'enseignement à distance (CNED), associés à des cours de soutien. Les  professeurs couvrent plusieurs établissements pour assurer leurs heures.  " La principale exigence pour un professeur d'arabe, c'est d'avoir son  permis de conduire ", résume Mme Tahhan.
Quand un poste est  ouvert, il faut ensuite réussir à le maintenir. Si le principal du  collège change et que le nouveau y est opposé, rien n'assure la  continuité, car il est facile de porter préjudice à une langue. Il  suffit de ne pas signaler son enseignement, de " l'oublier " dans les  emplois du temps ou de placer les cours à des heures impossibles. " ·  Champigny, la langue avait disparu des plaquettes du lycée ", témoigne  Mme Billacois, actuellement professeur au lycée Balzac à Paris-XVII. ·  Voltaire (Paris-XI), l'an passé, les élèves de terminale s'étaient  retrouvés à errer dans les couloirs. Aucun cours n'avait été prévu pour  eux. Les autres professeurs de langue peuvent aussi être hostiles à une  langue concurrente et nombre d'enseignants des autres disciplines, qui  ne voient pas son intérêt, dissuadent les élèves de la choisir. M.  Boudaakkar, professeur à Voltaire, regrette le " travail de sape "  réalisé, intentionnellement ou non, par des collègues. " Certains sont  surpris d'apprendre qu'il existe un CAPES d'arabe ! ", rapporte-t-il. "  On est vaguement assimilé aux enseignants du primaire qui exercent dans  le cadre d'accords franco-marocain ou franco-tunisien. " Une confusion  qui l'agace d'autant plus que même ses élèves d'origine maghrébine ont  une connaissance quasi nulle de la langue. Il y a neuf ans, les enfants  maîtrisaient cinq des dix phonèmes problématiques. Désormais, ils n'en  maîtrisent aucun. " Ce sont des enfants de troisième ou quatrième  génération, qui prononcent même leur prénom à la française ",  témoigne-t-il. Il s'agit donc d'enseigner une langue aussi étrangère que  l'allemand ou l'anglais.
Victime de réticences et de préjugés  tenaces, l'arabe n'a pas encore trouvé ses lettres de noblesse. Les  chefs d'établissement ont peur de l'amalgame entre " lycée où il y a de  l'arabe et lycée d'Arabes " et beaucoup ne veulent pas attirer ce  public. " Nous sommes là pour scolariser des enfants, pas pour faire son  marché ", s'insurge un responsable académique. " Même les familles  redoutent de stigmatiser leurs enfants en les faisant prendre arabe "  regrette M. Azam, proviseur à Asnières, qui avait participé, dans les  années quatre-vingt-dix, à la mise en place de l'arabe LV1 dans son  collège à Mantes-la-Jolie. " J'ai pu constater que c'est un facteur de  développement immense. " Même les enfants de troisième ou quatrième  génération qui n'ont que de vagues réminiscences, tireraient avantage de  son apprentissage. " C'est une langue difficile, qui demande de la  rigueur. Quand la méthode est acquise, elle profite aux autres matières  ", confirme Mme Gain, autre professeur du lycée Voltaire. Tous  constatent que pour les élèves issus de l'immigration, qui ne  connaissent pas et qui parfois rejettent leur culture d'origine,  l'apprentissage de l'arabe favorise la construction de leur identité.  Ils se sentent rassurés et valorisés. Le professeur d'arabe est  d'ailleurs souvent amené à occuper le rôle de médiateur.l
Les  études des psycho-linguistes montrent que, pour les enfants perdus entre  deux langues, une bonne assise dans leur langue familiale permet  d'acquérir les autres plus facilement. Marie Rose Moro,  ethno-psychiatre, qui dirige le service de psychopathologie de l'enfant  et de l'adolescent à l'hôpital Avicenne de Bobigny confirme : " Nous  constatons tous les jours sur le terrain combien l'apprentissage de la  langue d'origine est essentielle, même à plusieurs générations d'écart.  Bien au-delà du niveau linguistique, il s'agit de faire de la différence  quelque chose de positif. " Elle regrette que les politiques ne pensent  pas en terme de pluralité. " Ce serait une révolution nécessaire, mais  l'idée que l'intégration implique l'apprentissage exclusif de la langue  du pays d'accueil est tenace ", déplore-t-elle.
Alors que les  écoles coraniques ont poussé comme des champignons ces dernières années,  les professeurs d'arabe insistent sur la nécessité de maintenir un  enseignement laïque de la langue. II y aurait environ 600 écoles  coraniques, rattachées à des lieux de prière répertoriés, fréquentées  par 35 000 jeunes. Si certaines mosquées proposent un enseignement de  valeur, d'autres enseignent un arabe médiocre et manipulent les élèves.  Le prosélytisme de certains instructeurs s'accompagne parfois de  tentatives de dénigrement des cours dispensés par les enseignants  laïques. " Certains prétendent que l'on n'apprend l'arabe pur que chez  eux ", rapporte M. Mahfoud Boudaakkar. Celui-ci a, du reste, déjà été  l'objet d'intimidations lorsqu'il enseignait au Val-Fourré en 1992. "  L'enseignement coranique et laïque peuvent remplir des fonctions  complémentaires ", souligne-t-il. D'ailleurs, des établissements comme  la mosquée de la rue de Tanger, à Paris, cherche au contraire une  coopération harmonieuse, dans l'intérêt de tous et en premier lieu de  celui des élèves.
Pour les jeunes près d'entrer sur le marché du  travail, la maîtrise de l'arabe constitue un atout professionnel  indéniable. Les académies tentent d'ailleurs d'introduire la langue dans  les lycées professionnels où elle est encore rarement proposée. Le  marché du Maghreb et du Moyen-Orient est demandeur de techniciens  arabophones à tous les niveaux. Malgré ces débouchés, la langue aura du  mal à résister dans les collèges, où les responsables académiques  prévoient une généralisation de l'anglais.
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