mercredi 20 janvier 2010

Question orale n° 0639S de M. Yannick Bodin (Seine-et-Marne - PS)

M. le président   La parole est à M. Yannick Bodin, auteur de la question n° 639, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.

M. Yannick Bodin Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question s'adresse en effet à M. le ministre de l'éducation nationale et concerne l'enseignement de la langue arabe dans l'enseignement public.

Le nombre d'élèves suivant des cours d'arabe dans l'enseignement public est en constante diminution. Alors que l'enseignement de langues dites « rares » ne cesse de se développer , puisque 15 000 élèves de l'enseignement secondaire étudient le chinois, 12 000 le portugais, 14 000 le russe, à peine 7 300 collégiens et lycéens suivent des enseignements de langue arabe. Et encore faut-il préciser que, parmi ces élèves, 1 800 suivent les cours du Centre national d'enseignement à distance, le CNED, et 1 500 résident à la Réunion et à Mayotte.

Pourtant, la demande est forte, motivée autant par des raisons culturelles que par la réalisation de projets professionnels.

L'arabe est en effet l'une des dix langues les plus parlées au monde, et certains pays arabes, en plein développement économique, sont des partenaires commerciaux importants, comme l'actualité nous le montre tous les jours. Plusieurs États européens l'ont d'ailleurs fort bien compris. Ainsi, le Danemark développe l'enseignement de cette langue dès le collège. Ce pays n'a pourtant pas, de par son histoire, des relations privilégiées avec des pays arabophones, comme c'est par exemple le cas de la France.

À l'éducation nationale, les créations de poste ne suivent pas. Pourquoi ?

On nous dit que certains chefs d'établissement seraient réticents à ouvrir des classes d'arabe, aussi bien dans l'établissement défavorisé, où l'on craint que cette langue ne contribue à la ghettoïsation de ce dernier, que dans les lycées de centre-ville où l'on redoute que l'ouverture de cette option n'attire des « populations à problèmes ».

Cela concerne aussi la politique gouvernementale puisque, en quatre ans, le nombre de postes d'enseignant de la langue arabe proposé au concours du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré, le CAPES, a été divisé par quatre : vingt postes en 2002 contre cinq seulement en 2006.

En revanche, comme vous l'avez sans doute remarqué, monsieur le ministre, l'enseignement privé de l'arabe est en pleine croissance. Entre les cours dispensés par des associations privées financées par des États étrangers et ceux, dispensés dans les lieux cultuels, qui font souvent du prosélytisme, 100 000 personnes seraient concernées. Ces formations se développent au détriment de l'enseignement laïc, avec des risques évidents de dérive communautariste.

Sous la pression de l'opinion publique, les Assises de l'enseignement de la langue et de la culture arabes ont été organisées le 9 octobre 2008 à l'Assemblée nationale. À l'issue de cette journée, votre prédécesseur, M. Xavier Darcos, avait annoncé cinq grands axes de développement pour l'enseignement de la langue arabe : une généralisation des classes de sixième « bilangues » dès la rentrée 2009, l'identification et la création d'établissements pilotes pour l'arabe afin d'éviter la dispersion des moyens, la généralisation des regroupements inter-établissements en centre-ville dans les grandes agglomérations, le développement des sections internationales et de langues orientales, dont l'ouverture était d'ailleurs prévue en 2009, ainsi que le développement de l'arabe dans l'enseignement professionnel, notamment dans l'hôtellerie, le tourisme et la restauration.

Plus d'un an après ces assises, il semble que rien n'ait été concrétisé. Où en êtes-vous, monsieur le ministre, dans la mise en œuvre d'une véritable politique d'enseignement de la langue et de la culture de l'arabe dans nos écoles publiques, afin de répondre à la demande des élèves, arabophones ou non, et, surtout, pour s'assurer de son encadrement par l'enseignement public laïc, seul garant de la défense des valeurs de la République ?

 M. le président. La parole est à M. le ministre.



 M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Je partage votre sentiment, monsieur le sénateur, sur le fait que l'arabe est l'une des langues-clés de notre monde multipolaire.

Elle bénéficie déjà d'une place privilégiée dans notre système éducatif, puisqu'elle fait partie des vingt-deux langues vivantes étrangères susceptibles d'être choisies à l'épreuve écrite du baccalauréat.

En 2009, 6 400 élèves suivent un enseignement d'arabe en LV1, LV2 ou LV3, dans les collèges et les lycées d'enseignement général, technologique ou professionnel. De surcroît, comme vous l'avez rappelé, monsieur le sénateur, 50 000 élèves, en particulier les enfants scolarisés dans le primaire, choisissent également de suivre cet enseignement dans un cadre associatif, le plus souvent confessionnel.

Dans l'enseignement supérieur, il est vrai que la langue arabe reste encore trop cantonnée aux établissements d'excellence. Elle attire, dans les classes préparatoires et les grandes écoles, des élèves qui, parfois, viennent du monde entier.

L'arabe semble toutefois quelque peu délaissé par les générations nouvelles. Le ministère de l'éducation nationale comptait en 2009 203 enseignants de langue arabe, dont certains sont en sous-service, contre 236 en 2006.

Il est souhaitable – je pense que nous pourrons nous rejoindre sur ce point, monsieur le sénateur – que l'arabe soit enseigné au sein de l'éducation nationale, par des enseignants bien formés, bien préparés, plutôt que par des organismes ou des associations qui ne disposent pas des mêmes moyens pédagogiques, et qui peuvent être influencés par divers groupes ou groupuscules.

C'est pourquoi le Président de la République a souhaité donner un nouvel élan à la langue arabe :
- nous développerons davantage l'arabe dans l'enseignement technologique et professionnel, ainsi que dans le lycée d'enseignement général au titre de la LV3 ;
- nous rééquilibrerons l'offre d'enseignement de l'arabe entre les académies et à l'intérieur même de chacune des académies ;
- nous renforcerons les sections « bilangues », en particulier anglais-arabe ;
- enfin, nous remettrons à plat l'enseignement des langues et cultures d'origine ou ELCO, dispensé à l'école primaire.

Le dispositif ELCO, qui relève aujourd'hui de la responsabilité des autorités des trois États du Maghreb, pourra être ouvert à d'autres États et, surtout, devra mieux s'articuler avec l'enseignement des langues au collège.

Enfin, pour accompagner le développement de la langue arabe, je vous indique, monsieur le sénateur, comme je l'avais fait lors de mon audition pour la préparation du budget, que des postes seront créés, en fonction de la demande des élèves.

Vous voyez donc que, sur cette question, le ministère de l'éducation nationale prend toute la mesure de sa mission.

 M. le président.  La parole est à M. Yannick Bodin.

 M. Yannick Bodin.  Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Si j'en note les aspects positifs et volontaristes, vous comprendrez néanmoins que je reste inquiet.

Vous prétendez que cette langue n'est pas délaissée par l'éducation nationale. Dans mon agglomération, je constate pourtant qu'il est impossible d'en faire l'apprentissage dans l'enseignement public, et que de plus en plus de jeunes vont l'apprendre ailleurs.

Il y a urgence, au nom du nécessaire respect de la laïcité et des valeurs de la République. En effet, malheureusement, certains de ces jeunes qui apprennent l'arabe dans d'autres lieux que ceux de l'école publique viennent ensuite défendre en son sein des thèses incompatibles avec les enseignements qui y sont dispensés, tels le créationnisme ou certaines vérités révélées. Le mysticisme l'emporte alors sur la raison.

Face aux défaillances de l'éducation nationale, je lance un cri d'alarme, et je vous encourage à accélérer vos efforts, monsieur le ministre, pour les besoins de la cohésion nationale.

Source: senat.fr