mercredi 23 septembre 2009

Assemblée nationale - Question N° : 58862 de M. Daniel Goldberg ( Socialiste, radical, citoyen et divers gauche - Seine-Saint-Denis )

M. Daniel Goldberg attire l'attention de Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur les cours d'arabe. Le nombre d'étudiants inscrits dans un cursus d'arabe ou suivant des cours d'arabe dans le cadre d'une autre formation demeure faible. Pourtant, la dispense de cours d'arabe par de nombreuses associations et l'audience des chaînes de télévision arabophones attestent l'intérêt soutenu porté à cette langue. En outre, face au développement économique soutenu des pays arabes et à leur poids croissant et diversifié dans les échanges internationaux, la maîtrise de l'arabe constituerait assurément un atout majeur pour nombre de nos diplômés de l'enseignement supérieur, quelle que soit leur formation. Il lui demande donc de bien vouloir lui préciser au moyen de quelles mesures et selon quelle échéance elle entend parvenir à une augmentation significative et continue de l'enseignement de l'arabe dans les différents cursus de l'enseignement supérieur.

Réponse

La maîtrise d'une ou plusieurs langues fait partie des éléments indispensables à une bonne insertion professionnelle, tout comme la réussite d'une expérience de mobilité, à laquelle aspire un nombre toujours plus important d'étudiants. Ainsi, offrir à l'ensemble des étudiants, quelle que soit leur spécialité, une formation en langues est une nécessité, pour leur permettre de s'adapter aux contraintes actuelles du marché de l'emploi et notamment aux exigences nouvelles liées à l'internalisation des échanges. La pratique d'au moins une langue vivante étrangère fait désormais partie intégrante de toutes les formations universitaires. Ainsi, l'article 14 de l'arrêté du 23 avril 2002 relatif aux études universitaires conduisant au grade de licence prévoit-il, après évaluation du niveau de l'étudiant, un enseignement adapté en langues. Celui-ci peut en outre déboucher sur la délivrance d'un certificat de compétences en langues (CLES). Dans son activité d'évaluation des formations, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) s'attache à vérifier la présence et la qualité de ces enseignements. Le développement des enseignements est par ailleurs fonction de l'appétence des étudiants pour une discipline. S'agissant plus particulièrement de la langue arabe, les effectifs d'élèves qui suivent une formation en arabe en première, seconde ou troisième langue vivante dans l'enseignement du second degré sont constants depuis plusieurs années, soit 6 500 collégiens et lycéens. Cette stabilité s'observe également dans l'enseignement supérieur où, dans le cycle licence, 2 100 étudiants suivent une formation en langues, littératures et civilisations étrangères (LLCE), spécialité arabe. Ils sont plus nombreux en licence de langues étrangères appliquées (LEA) qui fait appel à la pratique d'au moins deux langues vivantes. L'appareil de formation de l'enseignement supérieur est en situation de faire face à une croissance de ces effectifs.

Assemblée nationale

Question N° : 58850 de M. Goldberg Daniel ( Socialiste, radical, citoyen et divers gauche - Seine-Saint-Denis )

M. Daniel Goldberg appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale sur la chute des effectifs dans les cours d'arabe au collège et au lycée.

D'un côté, le total d'élèves suivant l'enseignement de l'arabe a subi une baisse de l'ordre de 50 % en trente ans. Bien plus, près de 45 % d'entre eux résident à La Réunion et à Mayotte ou étudient cette langue par l'intermédiaire des cours délivrés par le Centre national d'enseignement à distance (CNED). L'ouverture de classes dites bilangues reste marginale, ainsi que son enseignement dans les formations technologiques et professionnelles.

De son côté, le dispositif des sections internationales soutient insuffisamment le développement de l'enseignement de cette langue : seulement deux sections internationales de langue arabe sont ouvertes sur le territoire métropolitain.

Pourtant, la dispense de cours d'arabe par de nombreuses associations et l'audience des chaînes de télévision arabophones attestent de l'intérêt récurrent porté à l'arabe. En outre, la capacité à commercer dans cette langue constituerait assurément un atout pour notre économie et pour la création d'emplois qui bénéficieraient davantage du relais de croissance porté par le développement économique soutenu des pays arabes.

Il lui demande donc de bien vouloir lui préciser au moyen de quelles mesures et selon quel échéancier il compte parvenir à une augmentation significative et continue des effectifs d'élèves en arabe dans les collèges, dans les lycées d'enseignement général et technologique et dans les lycées professionnels au sein de l'ensemble des académies.

Réponse

Au même titre que le chinois, l'hindi, l'espagnol, le russe ou le portugais ou le japonais, l'arabe est une des langues clés de notre monde multipolaire et une des vingt-deux langues vivantes étrangères susceptible d'être choisie à l'épreuve écrite du baccalauréat. En 2009, avec une inégale répartition sur le territoire national, 6 400 élèves suivent un enseignement d'arabe en LV1, LV2 et LV3 au collège et au lycée d'enseignement général, technologique et professionnel.

Dans le même temps, plus de 50 000 élèves font le choix de suivre cet enseignement dans un cadre associatif, le plus souvent confessionnel, en particulier pour les enfants scolarisés dans le primaire. Bien placée dans l'enseignement supérieur et bénéficiant de l'expérience et de la réputation internationale de chercheurs français de très haut niveau, la langue arabe reste dans l'enseignement secondaire une langue encore trop cantonnée aux établissements d'excellence. Si elle attire également dans les classes préparatoires et les grandes écoles des élèves venus du monde entier, elle semble encore pour le moment très délaissée par les générations nouvelles dont les parents et grands-parents étaient des locuteurs traditionnels.

La situation actuelle marquée par le vieillissement et une baisse lente des effectifs nationaux du corps enseignant de langue arabe est comparable à la situation constatée dans les autres États de l'Union européenne. Notre pays compte 203 enseignants de langue arabe en 2008-2009, dont certains sont en sous-service. Le nombre d'enseignants a diminué car en 2005-2006 ils étaient 236. Nous avons reculé dans ce domaine. Forte est la conviction qu'il vaut mieux que l'arabe soit enseigné au sein de l'Éducation nationale, par des enseignants bien formés, bien préparés, dans un cadre national, que par des organismes ou des associations qui ne disposent pas de mêmes ressources humaines.

Le Président de la République souhaite un nouvel élan de la langue arabe. Ainsi, dès les prochaines semaines, un effort particulier sera déployé pour le développement de l'enseignement de l'arabe dans l'enseignement technologique et professionnel, ainsi que dans le lycée d'enseignement général au titre de la LV3. Pour la rentrée prochaine, plusieurs pistes nouvelles vont être explorées. Un premier effort portera sur un rééquilibrage de l'offre d'enseignement de manière intra et interacadémique ; un deuxième sur la mise en place de sections « bilangue », en particulier anglais-arabe et un troisième sur une remise à plat de l'enseignement de langue et cultures d'origine (ELCO) dispensé à l'école primaire. Le dispositif ELCO, qui aujourd'hui est de la responsabilité des autorités des trois États du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) pourra être ouvert à d'autres États et, surtout, devra mieux s'articuler avec l'enseignement de langues en collège. Plus généralement, une réflexion particulière sera menée pour que l'arabe trouve toute sa place dans les filières d'excellence - sections internationales ou sections de langues orientales, lycées des métiers... - et pour que la certification en langue arabe, aujourd'hui fragmentée et lacunaire, au niveau mondial puisse devenir un sujet privilégié pour les institutions multilatérales comme l'institut du Monde arabe.

Une politique volontariste sera menée sous l'impulsion des recteurs et la mobilisation des chefs d'établissement afin d'inverser les tendances actuelles. Des postes seront créés pour accompagner le développement de la langue arabe. Enfin, des assises de la langue arabe rassemblant les différents acteurs concernés pourront permettre en 2011 de prolonger ces diverses initiatives.


Source: Assemblée nationale

samedi 12 septembre 2009

Faire de la langue arabe une option comme une autre, par Jean-François Copé

Jean-François Copé, président du groupe UMP à  l'Assemblée nationale, a publié sur le magazine en ligne slate.fr  une tribune en faveur du développement de l'enseignement de l'arabe. Si cette tribune n'engage évidemment que son auteur, l'AFDA se félicite d'y retrouver une bonne partie des données et argumentations qu'elle relaie depuis plusieurs années.



 Au cœur de mon engagement politique, la question de l'identité nationale prend une place de premier plan. Alors que je sens notre nation tiraillée par des tensions et des doutes, je veux réaffirmer avec force le besoin d'unité, sans lequel l'exaltation permanente de la diversité n'a pas de sens. Dans cette perspective, je récuse l'explication différentialiste qui inviterait à considérer le port de la burqa dans la sphère publique comme une pratique légitime, au nom d'un héritage culturel ou religieux. La tribune que j'ai signée sur Slate le 4 juillet affirme clairement mes convictions à ce propos. Je suis pour une loi d'interdiction de la burqa dans l'espace public, précédée d'une phase de dialogue pour expliquer aux personnes concernées ce qui est en jeu.

Dans ce contexte, la proposition que j'ai avancée récemment de développer l'enseignement de la langue arabe au sein de l'Education nationale a suscité un débat et quelques incompréhensions. Comme si ces deux positions, sur la burqa d'une part et sur la langue arabe d'autre part, étaient incohérentes. Je crois au contraire qu'elles s'inscrivent dans la même logique de fidélité aux valeurs de la République et dans la même dynamique de renforcement de notre communauté nationale.

Ma proposition sur la langue arabe part d'un constat simple : aujourd'hui, quand un jeune veut apprendre l'arabe dans notre pays, il s'adresse en priorité à la mosquée, plutôt qu'à l'école. Quand on regarde les chiffreshttp://eduscol.education.fr/D0217/actes_agregation_arabe.pdf], on s'aperçoit en effet qu'au primaire, 36 000 élèves sont pris en charge par l'Education nationale via le dispositif des ELCO (enseignements de langue et culture d'origine). Ce système a été lancé par des accords bilatéraux passés dans les années 1980 notamment avec l'Algérie, le Maroc et la Tunisie. Il met à la disposition de l'Education nationale des enseignants étrangers détachés en France pour enseigner l'arabe. Au secondaire, seuls 4 800 élèves suivent des cours d'arabe dans le cadre des collèges et des lycées. Il y a donc près de 8 fois moins d'élèves au secondaire qu'au primaire. Comment expliquer cette déperdition?

On voit aussi qu'un département sur deux n'offre pas de formation d'arabe au secondaire, ce qui oblige 1 800 élèves à prendre des cours par correspondance auprès du CNED (Centre national d'enseignement à distance). En revanche, plus de 65 000 jeunes en âge d'être scolarisés suivent des cours d'arabe dispensés par le secteur associatif. Or aucun contrôle n'existe sur cet enseignement: il peut être d'excellente qualité comme donner lieu à des dérives voire à des récupérations intégristes à l'insu des parents.

Comment expliquer un tel écart entre la demande pour apprendre l'arabe dans notre pays et l'offre de l'Education nationale? Il y a sans doute une méfiance liée à une confusion simpliste qui règne trop largement: proposer d'enseigner l'arabe dans nos classes reviendrait à installer l'islam au cœur même de l'école laïque. L'arabe est ainsi peu à peu assimilé à une langue essentiellement identitaire ou religieuse dont l'apprentissage serait un réflexe communautariste. Pourtant, il ne devrait pas y avoir plus de blocages avec l'arabe que pour d'autres langues étrangères, auxquelles sont attachées d'importantes communautés d'immigration dans notre pays, comme le portugais, l'italien ou l'espagnol.

Il est légitime pour des parents de souhaiter que leurs enfants apprennent la langue d'origine de leur famille. Non seulement pour garder un lien vivant avec leur histoire familiale, mais surtout pour leur ouvrir des opportunités. Les zones de langue arabe, les pays du Golfe ou le Maghreb par exemple, sont en pleine croissance et sont demandeuses de jeunes français arabisants et bien formés. Sans développer l'apprentissage de l'arabe à l'école, la France prive certains de ses jeunes de vraies opportunités de carrière. A l'heure où l'on s'inquiète du chômage des jeunes et l'on insiste sur l'importance de maîtriser des langues étrangères, il serait étonnant de continuer à se fermer des débouchés sur près de 300 millions de personnes dans le monde.

Le malaise actuel est d'autant plus paradoxal que la France a toujours été novatrice dans son ouverture aux langues orientales. Une longue histoire unit la France à la langue arabe: François 1er a été le premier à ouvrir en 1530 une chaire d'arabe en France. En 1905, l'arabe a fait son entrée dans les concours de recrutement de la fonction publique tandis qu'une agrégation d'arabe était fondée. Depuis 1975, l'arabe est proposé aux élèves du secondaire comme une langue vivante 1, 2 ou 3. La France est d'ailleurs le seul pays occidental à enseigner la langue et la civilisation arabe depuis le primaire jusqu'à l'université, en s'appuyant sur un corps d'enseignants titulaires de la fonction publique, recrutés par concours. On connaît aussi la grande oeuvre de l'orientalisme français, de Champollionhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-François_Champollion] jusqu'à Massignonhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Massignon] en passant par Corbinhttp://www.amiscorbin.com/] ou Charles de Foucauldhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_de_Foucauld], qui témoigne de la fascination et de l'amour de notre pays pour les civilisations d'Orient. Au regard de cette grande tradition, la possibilité d'apprendre l'arabe en France devrait donc être une simple formalité.

L'Education nationale semble prendre peu à peu conscience du problème. Elle a donc défini en 2008 quelques orientations pour changer la donne: l'implantation de filières d'excellence; la création de 6èmes bilangues anglais-arabe et de nouvelles sections internationales; le développement d'un enseignement inter-établissements dans les lycées de centre ville des grandes agglomérations ou encore l'implantation de l'arabe dans les formations du tourisme, de la restauration et de l'hôtellerie. Ces propositions vont bien sûr dans le bon sens, mais suffiront-elles à répondre à l'urgence de la demande?

Des bassins regroupant un potentiel important d'élèves issus de l'immigration et désireux d'apprendre l'arabe sont aisément identifiables dans les grandes agglomérations. Un maillage répondant mieux aux besoins peut être mis en place. Pourquoi ne pas mettre en place un grand plan de développement de l'arabe, analogue à celui auquel on assiste pour le chinois aujourd'hui? Pourquoi ne pas ouvrir plus de places au CAPES et à l'agrégation d'arabe? Pourquoi l'Education nationale, dans le cadre des ELCO, ne renforcerait-elle pas ses exigences en termes de méthode, programme et formation tout en élargissant le dispositif ?

«Qu'ils apprennent déjà le Français!». J'entends déjà les réactions de ceux que cette proposition dérange. Là n'est pas la question. L'instruction du français doit évidemment être renforcée. Son apprentissage est l'une des raisons d'être de l'Education nationale quand l'arabe ne doit être qu'une option offerte à ceux qui le souhaitent, sans se substituer à l'indispensable maîtrise de l'anglais. Apprendre une langue en plus, ce n'est pas un frein, c'est toujours un atout.



Jean-François Copé

jeudi 10 septembre 2009

A lire dans "Le Monde": La langue arabe chassée des classe

Pour ceux qui ne l'auraient pas encore découvert, l'excellent article de Brigitte Perucca publié dans  Le Monde  du 9 septembre dernier.
       

L'arabe, une langue d'avenir ? Les Danois y croient. Copenhague vient d'introduire, à cette rentrée, l'arabe dans les collèges. Tout en accélérant l'intégration des 10 % des 31 000 collégiens d'origine palestinienne, libanaise et irakienne, la capitale danoise veut préparer les bataillons de commerciaux qui partiront demain, espère-t-elle, à l'assaut des pays du Golfe. Un discours simple et pragmatique qui n'a pas cours en France, où l'enseignement de l'arabe, pourtant centenaire, est laissé à l'abandon par l'éducation nationale, au profit des mosquées qui ont capté la demande.


Que quelques lycées prestigieux de centre-ville regroupent des classes d'arabophones ne doit pas faire illusion. Reléguée dans les zones d'éducation prioritaire, la langue arabe ne parvient pas à quitter son ghetto. Dans l'enseignement secondaire, les effectifs sont faméliques : 7 300 collégiens et lycéens étudient la langue arabe, soit deux fois moins qu'à la fin des années 1970. Parmi ces élèves, 1 800 suivent les cours du Centre national d'enseignement à distance (CNED) et 1 500 résident à La Réunion et à Mayotte.

A l'école primaire, apprendre l'arabe passe par les cours d'Enseignement de langue et de culture d'origine (ELCO). Formalisé dans les années 1970 pour préserver "l'identité culturelle" des enfants d'immigrés, ce dispositif est confié aux pays d'origine mais contrôlé par l'éducation nationale. Avec plus de 35 000 élèves, dont 22 679 en arabe, les cours sont dispensés en dehors du temps scolaire. Le dernier rapport de l'éducation nationale consacré aux ELCO, publié en mars 2006, relève que les cours d'arabe "ne sont pas convaincants". Non qu'ils se soient transformés en cours de religion, comme les inspecteurs l'ont maintes fois entendu, mais à cause de leur piètre qualité : méthodes jugées d'un autre âge, absence de lien entre l'arabe dialectal et arabe standard, rappel constant au pays d'origine et à son régime politique...

La comparaison avec les autres langues "rares" joue en la défaveur de l'arabe. Le chinois, porté par un effet de mode qui ne faiblit pas, attire environ 15 000 élèves dans le secondaire, le portugais 12 000, le russe 14 000 et l'hébreu 7 000. Cet échec sonne, pour nombre d'arabisants, comme un symptôme du rejet des Maghrébins dans la société française. "L'enseignement de cette langue se porte aussi mal que les populations qui la parlent", résume Abdellatif Nougaoui, professeur d'arabe au lycée Alfred-Noble de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Traduire : l'arabe est aussi mal aimé que la communauté qui le parle.

Du haut en bas de la pyramide de l'éducation nationale, on déplore "un abandon de l'arabe", selon les termes de l'inspecteur général d'arabe, Bruno Levallois. En tant que langue de communication, l'arabe apparaît pourtant en plein renouveau grâce à la scolarisation massive dans les pays du Golfe, à la simplification linguistique à l'oeuvre grâce aux nouveaux médias, comme Al-Jazira.

La "frilosité" des ministres de l'éducation nationale est souvent mise en accusation par la petite communauté arabisante. Seuls Jean-Pierre Chevènement et Jack Lang échappent à l'opprobre : le premier pour son discours intégrateur porteur pour la langue, le second pour son volontarisme qui a permis la création de postes de professeurs et l'intégration de l'arabe parmi les langues vivantes du primaire, une mesure abandonnée peu après son départ.

Tous les défenseurs de la langue se remémorent comme une vexation la déclaration d'Azouz Begag. L'éphémère ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances du gouvernement Villepin avait défendu le développement de l'enseignement du chinois dans les ZEP, pour favoriser une meilleure insertion professionnelle de ces jeunes bien sûr, mais aussi les mettre au contact avec "une langue de culture". Il n'avait pas eu un mot pour l'arabe.

Benoît Deslandes, l'actuel président de l'Association française des arabisants, a conservé un souvenir blessant de sa tentative, alors qu'il était professeur, il y a quelques années, de "vendre" l'arabe à un lycée de centre-ville. "Nous n'avons pas d'Arabes ici", lui avait répondu le proviseur. "Vous avez des Anglais ?" lui avait rétorqué l'enseignant. Cette insolence lui a valu la porte.

L'expérience vécue en 2009 par l'inspecteur pédagogique régional d'arabe, Michel Neyreneuf, montre que les réticences sont toujours là. Après avoir travaillé pendant des mois, sur le terrain, à l'ouverture de classes dites bilangues (deux langues vivantes enseignées dès la sixième) dans l'Oise, il voit l'expérience repoussée d'un revers de main par le rectorat. Le motif, exprimé ouvertement ou non, étant toujours le même : proposer l'arabe, c'est prendre le risque de "stigmatiser" des collèges. D'où un double échec : cette langue ne trouve pas sa place dans les établissements en quête d'excellence et déserte les plus en difficulté.

Partout, le scénario se répète : des effectifs de collégiens qui ne permettent plus le maintien de l'enseignement de l'arabe au lycée ; des professeurs d'arabe en partie désoeuvrés (60 % d'entre eux sont remplaçants, 6 % enseignent une autre discipline) ; une absence d'offre dans les lycées professionnels ou dans les formations technologiques qui proposeraient pourtant des débouchés aux élèves maîtrisant cette langue. Jean-François Copé s'est fait l'écho de cette préoccupation, samedi 5 septembre, lors du campus des jeunes de l'UMP à Seignosse (Landes) : "Il y a des emplois en lien avec le développement économique des pays arabes, nous devrions assurer à tout jeune la possibilité d'apprendre cette langue", a déclaré le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale,

Numériquement parlant, avec 4 000 à 5 000 inscrits, le sort de l'arabe est plus enviable à l'université. Mais le public, composé pour les deux tiers d'étudiants en pleine quête identitaire, n'est pas facile, concède le directeur des études arabes et hébraïques à l'université Paris-IV, Frédéric Lagrange. Il a vu cette proportion d'heritage students, selon la formule anglo-saxonne, grossir au fil des années. Nombreux sont ceux qui viennent de filières technologiques au lycée et se retrouvent en grande difficulté sur les bans de la fac. Parmi eux, nombre de jeunes femmes qui se cherchent un avenir dans la communauté, constate l'historien Benjamin Stora, qui les côtoie à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).

"L'enseignement de l'arabe est parasité par le sacré et tous les problèmes socioéconomiques de gens qui veulent apprendre cette langue pour se forger une identité islamique", regrette Stéphane Valters, professeur d'arabe à l'université du Havre. Quelques-un(e)s possèdent déjà des rudiments, voire plus, de la langue, apprise dans un contexte religieux. "Cela s'entend. Ils ont des intonations qui impliquent une longue pratique de la psalmodie", explique M. Lagrange.

Car si l'arabe est en crise au collège et au lycée, il est en plein boom dans les mosquées. Au Val d'Argenteuil (Val-d'Oise), l'institut Al-Ihsane, installé dans la "mosquée Renault", ainsi surnommée parce qu'elle est installée dans une ancienne usine du constructeur automobile, affiche 635 inscrits entre 5 et 16 ans pour la prochaine rentrée. "Sans publicité", se flatte Abdelkader Achebouche, son président. Il ne souffre pas du tout de la concurrence de la mosquée Dassault - installée dans un ancien entrepôt de l'avionneur - à qui l'on prête quelque 400 élèves, issus de familles d'origine marocaine, quand son institut regroupe ceux d'origine algérienne.

Dans les classes d'Al-Ihsane, les cahiers des élèves inscrits en 2008 témoignent d'un travail scolaire assidu - quatre heures par semaine avec bulletins de notes et appel aux parents en cas d'absence. Chaque cours commence par une demi-heure de Coran, l'essentiel du temps étant ensuite consacré à un cours de langue "ordinaire". "Les parents recherchent une éducation islamique, mais ils veulent aussi maintenir le lien avec le pays d'origine", explique M. Achebouche. La mosquée rassure parce qu'elle apporte à la fois le Coran, la langue et un encadrement.

Preuve que cet afflux d'élèves vers les mosquées signe un retour à la langue et aux racines, il s'observe aussi dans les associations laïques. "L'ancienne génération avait honte d'elle-même et la connaissance de l'arabe était un handicap plutôt qu'un atout. La jeune génération ne raisonne plus comme ça", observe Amar Rahaouni qui anime l'association Enfance et familles des deux rives à Pierrefitte (Seine-Saint-Denis). A Paris, l'engouement est réel pour les cours d'arabe organisés à l'Institut du monde arabe (IMA) : "Nous avons commencé avec 10 enfants de 7 à 12 ans il y a cinq ans, nous en avons 190 aujourd'hui dont un bon nombre vient de banlieue", raconte Sophie Tardy, responsable du centre de langues et de civilisation de l'IMA.

Ce repli sur les associations inquiète le monde enseignant qui regrette d'autant plus le manque de volontarisme de l'éducation nationale. "Si la langue et la culture deviennent la propriété des communautés, nous sommes mal partis", regrette Bruno Levallois. "Si on ne donne pas à leurs enfants la possibilité d'apprendre l'arabe à l'école, les familles se tourneront de plus en plus vers la mosquée", soutient Yahya Cheikh, professeur au lycée Romain-Rolland de Goussainville.

Brigitte Perucca

Article paru dans l'édition du 09.09.09