mardi 10 juin 2008

Une intervention de B. Levallois sur l'enseignement de la langue arabe en France

On nous prie d'annoncer:




     Nous vous informons de la tenue de la prochaine séance du groupe de réflexion IESR-IISMM  Islam et politiques publiques en Europe,  à laquelle vous êtes cordialement invités, le jeudi 17 avril 2008 de 17h à 19h à l'IESR (Institut Européen en Sciences des Religions) situé au 14 Rue Ernest Cresson 75014 Paris (Métro Mouton-Duvernet).

    Le sujet de la réunion portera sur "L'enseignement de la langue arabe en France" et l'intervention sera assurée par M.Bruno Levallois, Inspecteur Général de lʼEducation Nationale pour l’enseignement de l'arabe.



Organisé par:
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales,
Institut d’études de l’Islam et des Sociétés du Monde Musulman,
Institut Européen en Sciences des Religions-EPHE,
Groupe de réflexion IESR-IISMM  Islam et politiques publiques en Europe.

Compte-rendu de l'intervention de M. Levallois


L'intervention de M. Levallois a porté, entre autres, sur les points suivants :
- historique rapide des études arabes en France ;
- enjeux et obstacles actuels.
- questions de didactique


A- Historique des études arabes

Après les découvertes scientifiques et techniques qui passaient par la langue arabe, de même que la pensée philosophique et théologique qui ont occupé le Moyen-Age, après l'engouement pour l'orientalisme exotique de la période moderne puis du romantisme, les études arabes ont  connu un nouvel essor aux 19ème et 20ème siècles : l'orientalisme exotique laissait la place à l'orientalisme scientifique.

L'Orient a constitué à partir du 19ème siècle un objet singulier d'études à la fois érudites, imprégnées des lumières et de la pensée humaniste, et qui pouvait en même temps être mises au service d'une pensée conquérante et dominatrice.


L'enseignement de l'arabe dans le cadre scolaire s'est développé dans la foulée de l'expansion coloniale (l'agrégation a été créée en 190632] par Louis Massignon), essentiellement dans les établissements d'Algérie, de Tunisie et du Maroc, et a suivi son reflux.


A partir des années 1970, il a connu une mutation complète :

- mutation quantitative : dans le secondaire, de 373 élèves en 1974 répartis sur une poignée d'établissements, on en est aujourd'hui et depuis plusieurs années à environ 8 700 élèves dans l'enseignement public (et quelques établissements privés), second degré et classes post-bac (CPGEhttp://fr.wikipedia.org/wiki/CPGE] et BTShttp://fr.wikipedia.org/wiki/Brevet_de_technicien_sup%C3%A9rieur]), et en comptant l'enseignement à distance, répartis sur 245 établissements (110, 128 lycées et 7 lycées professionnels).
En outre, 28 000 élèves suivent un enseignement de la langue arabe dans le réseau de l’AEFE et celui de la Mission laïque.
Le dispositif ELCO, quant à lui, assure un enseignement de l'arabe à environ 40 000 élèves en France.

- mutation qualitative : d'enseignants formés à une école orientaliste érudite, d'une pédagogie traditionnelle et devenue désuète, on est passé rapidement à un corps enseignant au fait des avancées de la didactique des langues, en phase avec les profondes évolutions du système éducatif, et mettant en œuvre une pédagogie novatrice (y compris dans l'utilisation des technologies nouvelles). D'autres concours de recrutement des professeurs (CAPES et CAPLP Certificat d'aptitude au professorat des lycées professionnels) sont venus rejoindre l'agrégation.


B- Les enjeux et obstacles actuels

Les enjeux professionnels, économiques, géostratégiques, sont trop connus pour être développés.

Retenons seulement les points plus étroitement liés à l’enseignement :

- L'enseignement de l'arabe est un facteur important d'intégration scolaire et  sociale. Les enfants de l'immigration maghrébine auront d'autant plus leur place dans l'institution scolaire que celle-ci veillera à transmettre un savoir en rapport avec leur histoire, et saura tenir sur une grande culture, sujette par ailleurs à de nombreuses tentatives de réduction, de récupération et de détournement, un discours informé, dépassionné et distancié par les exigences intellectuelles communes. Parallèlement à cette demande, une demande s'exprime aussi de la part d'élèves qui n'ont pas de lien personnel avec le monde arabe. Le cours d'arabe est alors le lieu privilégié de découverte de l'autre, de dépassement des stéréotypes. L'enseignement de l'arabe est conforme là aussi à la mission humaniste de l'Ecole.

- La politique de coopération culturelle avec les pays arabes, au travers en particulier du réseau très dense des établissements français dans ces pays, est une dimension importante. La prise en compte de l'arabe dans ce cadre conditionne pour une bonne part la politique de développement de la francophonie.

- Les enjeux sont aussi d'ordre scientifique. La France a repris un rôle pionnier dans de nombreux domaines des études arabes, dans l'enseignement supérieur et la recherche, avec des avancées particulièrement brillantes, notamment en histoire, en sociologie et en linguistique. Des départements d'arabe sont actifs dans les principales universités de France, et des centres français d'études arabes et de recherche dans les principales capitales arabes ont un rayonnement considérable. Cette situation avantageuse est enviée de nos partenaires européens.

C- Questions didactiques

Confronté depuis 1975 à un développement rapide, l'enseignement de l'arabe dans le secondaire a dû élaborer des démarches qui prennent en compte les acquis de la didactique actuelle des langues étrangères, acquis formalisés récemment par le Conseil de l'Europe au travers du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL). Ces évolutions portent notamment sur :

- le développement d'une grammaire d'apprentissage (fonctionnelle), distinguée du monumental ouvrage de grammaire descriptive et théorique accompli par les grammairiens arabes. La réflexion dans ce domaine conduit d’une part à penser le système graphique et son apprentissage dans sa relation au système de la langue, notamment en ce qui concerne la notation des voyelles brèves, d’autre part à libérer l’expression orale de la contrainte de la déclinaison casuelle.

- la prise en compte de la pluriglossie de l’arabe, entre littéral / arabe moyen / dialectes, afin de mettre les élèves et étudiants devant la réalité vivante de cette langue dans tous ses états. Dans ce domaine, l'enseignement de l'arabe fait figure de pionnier, comparativement à celui des « grandes » langues européennes où l'approche des variétés locales (pourtant si vivaces et incontournables), ne fait pas l'objet d'une réflexion aussi approfondie.