samedi 12 septembre 2009

Faire de la langue arabe une option comme une autre, par Jean-François Copé

Jean-François Copé, président du groupe UMP à  l'Assemblée nationale, a publié sur le magazine en ligne slate.fr  une tribune en faveur du développement de l'enseignement de l'arabe. Si cette tribune n'engage évidemment que son auteur, l'AFDA se félicite d'y retrouver une bonne partie des données et argumentations qu'elle relaie depuis plusieurs années.



 Au cœur de mon engagement politique, la question de l'identité nationale prend une place de premier plan. Alors que je sens notre nation tiraillée par des tensions et des doutes, je veux réaffirmer avec force le besoin d'unité, sans lequel l'exaltation permanente de la diversité n'a pas de sens. Dans cette perspective, je récuse l'explication différentialiste qui inviterait à considérer le port de la burqa dans la sphère publique comme une pratique légitime, au nom d'un héritage culturel ou religieux. La tribune que j'ai signée sur Slate le 4 juillet affirme clairement mes convictions à ce propos. Je suis pour une loi d'interdiction de la burqa dans l'espace public, précédée d'une phase de dialogue pour expliquer aux personnes concernées ce qui est en jeu.

Dans ce contexte, la proposition que j'ai avancée récemment de développer l'enseignement de la langue arabe au sein de l'Education nationale a suscité un débat et quelques incompréhensions. Comme si ces deux positions, sur la burqa d'une part et sur la langue arabe d'autre part, étaient incohérentes. Je crois au contraire qu'elles s'inscrivent dans la même logique de fidélité aux valeurs de la République et dans la même dynamique de renforcement de notre communauté nationale.

Ma proposition sur la langue arabe part d'un constat simple : aujourd'hui, quand un jeune veut apprendre l'arabe dans notre pays, il s'adresse en priorité à la mosquée, plutôt qu'à l'école. Quand on regarde les chiffreshttp://eduscol.education.fr/D0217/actes_agregation_arabe.pdf], on s'aperçoit en effet qu'au primaire, 36 000 élèves sont pris en charge par l'Education nationale via le dispositif des ELCO (enseignements de langue et culture d'origine). Ce système a été lancé par des accords bilatéraux passés dans les années 1980 notamment avec l'Algérie, le Maroc et la Tunisie. Il met à la disposition de l'Education nationale des enseignants étrangers détachés en France pour enseigner l'arabe. Au secondaire, seuls 4 800 élèves suivent des cours d'arabe dans le cadre des collèges et des lycées. Il y a donc près de 8 fois moins d'élèves au secondaire qu'au primaire. Comment expliquer cette déperdition?

On voit aussi qu'un département sur deux n'offre pas de formation d'arabe au secondaire, ce qui oblige 1 800 élèves à prendre des cours par correspondance auprès du CNED (Centre national d'enseignement à distance). En revanche, plus de 65 000 jeunes en âge d'être scolarisés suivent des cours d'arabe dispensés par le secteur associatif. Or aucun contrôle n'existe sur cet enseignement: il peut être d'excellente qualité comme donner lieu à des dérives voire à des récupérations intégristes à l'insu des parents.

Comment expliquer un tel écart entre la demande pour apprendre l'arabe dans notre pays et l'offre de l'Education nationale? Il y a sans doute une méfiance liée à une confusion simpliste qui règne trop largement: proposer d'enseigner l'arabe dans nos classes reviendrait à installer l'islam au cœur même de l'école laïque. L'arabe est ainsi peu à peu assimilé à une langue essentiellement identitaire ou religieuse dont l'apprentissage serait un réflexe communautariste. Pourtant, il ne devrait pas y avoir plus de blocages avec l'arabe que pour d'autres langues étrangères, auxquelles sont attachées d'importantes communautés d'immigration dans notre pays, comme le portugais, l'italien ou l'espagnol.

Il est légitime pour des parents de souhaiter que leurs enfants apprennent la langue d'origine de leur famille. Non seulement pour garder un lien vivant avec leur histoire familiale, mais surtout pour leur ouvrir des opportunités. Les zones de langue arabe, les pays du Golfe ou le Maghreb par exemple, sont en pleine croissance et sont demandeuses de jeunes français arabisants et bien formés. Sans développer l'apprentissage de l'arabe à l'école, la France prive certains de ses jeunes de vraies opportunités de carrière. A l'heure où l'on s'inquiète du chômage des jeunes et l'on insiste sur l'importance de maîtriser des langues étrangères, il serait étonnant de continuer à se fermer des débouchés sur près de 300 millions de personnes dans le monde.

Le malaise actuel est d'autant plus paradoxal que la France a toujours été novatrice dans son ouverture aux langues orientales. Une longue histoire unit la France à la langue arabe: François 1er a été le premier à ouvrir en 1530 une chaire d'arabe en France. En 1905, l'arabe a fait son entrée dans les concours de recrutement de la fonction publique tandis qu'une agrégation d'arabe était fondée. Depuis 1975, l'arabe est proposé aux élèves du secondaire comme une langue vivante 1, 2 ou 3. La France est d'ailleurs le seul pays occidental à enseigner la langue et la civilisation arabe depuis le primaire jusqu'à l'université, en s'appuyant sur un corps d'enseignants titulaires de la fonction publique, recrutés par concours. On connaît aussi la grande oeuvre de l'orientalisme français, de Champollionhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-François_Champollion] jusqu'à Massignonhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Massignon] en passant par Corbinhttp://www.amiscorbin.com/] ou Charles de Foucauldhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_de_Foucauld], qui témoigne de la fascination et de l'amour de notre pays pour les civilisations d'Orient. Au regard de cette grande tradition, la possibilité d'apprendre l'arabe en France devrait donc être une simple formalité.

L'Education nationale semble prendre peu à peu conscience du problème. Elle a donc défini en 2008 quelques orientations pour changer la donne: l'implantation de filières d'excellence; la création de 6èmes bilangues anglais-arabe et de nouvelles sections internationales; le développement d'un enseignement inter-établissements dans les lycées de centre ville des grandes agglomérations ou encore l'implantation de l'arabe dans les formations du tourisme, de la restauration et de l'hôtellerie. Ces propositions vont bien sûr dans le bon sens, mais suffiront-elles à répondre à l'urgence de la demande?

Des bassins regroupant un potentiel important d'élèves issus de l'immigration et désireux d'apprendre l'arabe sont aisément identifiables dans les grandes agglomérations. Un maillage répondant mieux aux besoins peut être mis en place. Pourquoi ne pas mettre en place un grand plan de développement de l'arabe, analogue à celui auquel on assiste pour le chinois aujourd'hui? Pourquoi ne pas ouvrir plus de places au CAPES et à l'agrégation d'arabe? Pourquoi l'Education nationale, dans le cadre des ELCO, ne renforcerait-elle pas ses exigences en termes de méthode, programme et formation tout en élargissant le dispositif ?

«Qu'ils apprennent déjà le Français!». J'entends déjà les réactions de ceux que cette proposition dérange. Là n'est pas la question. L'instruction du français doit évidemment être renforcée. Son apprentissage est l'une des raisons d'être de l'Education nationale quand l'arabe ne doit être qu'une option offerte à ceux qui le souhaitent, sans se substituer à l'indispensable maîtrise de l'anglais. Apprendre une langue en plus, ce n'est pas un frein, c'est toujours un atout.



Jean-François Copé