L'enseignement de l'arabe en France représente un formidable gâchis.
En effet, dans notre pays qui peut, à la différence de ses voisins, s’enorgueillir d’un enseignement de l’arabe présent sur tous les segments du secteur éducatif, celui-ci se caractérise:
- d'une part par une demande forte pour un enseignement public et laïque de la langue arabe, ce dont témoigne la forte augmentation du nombre d'étudiants en arabe dans le supérieur depuis la fin des années 1990;
- d'autre part par une offre de qualité, assurée par plus de 200 enseignants certifiés et agrégés, et par des chercheurs et des universitaires d'envergure internationale.
Pourtant, cette demande et cette offre peinent à se rencontrer, notamment dans l'enseignement secondaire. Alors que les enseignements de langue et culture d'origine (ELCO), intégralement financés par le Maroc, l'Algérie et la Tunisie, assurent un enseignement d'arabe à 40 000 élèves (majoritairement dans le primaire), les cours d'arabe assurés par l'éducation nationale dans le secondaire n'attirent qu'un peu plus 7000 élèves environ. De même, l'enseignement associatif (et souvent confessionnel) attirait, en 2003, 65 000 jeunes d'âge scolaire d'après une estimation du ministère de l'intérieur, alors le danger d'abandonner l'enseignement de la langue arabe à des structures hors de tout contrôle semble trop évident pour être rappelé.
L'association française des arabisants a fréquemment attiré l'attention des décideurs sur ce gâchis et sur les dangers qu'il recèle, sans être entendue. Pourtant, les responsables politiques successifs du pays n’hésitent pas, si l’occasion se fait jour, à mettre en avant la présence en France de l’enseignement de l’arabe à tous les échelons du système éducatif et universitaire qui reste une spécificité française.
Nous avons donc décidé d'élaborer une liste de 10 propositions qui, à moyens constants (sauf peut-être pour l'enseignement supérieur où les effectifs ont augmenté de près 50 % en dix ans), permettraient d'assurer enfin la pérennité d’un enseignement de l'arabe digne des enjeux scientifiques, politiques et sociaux du temps présent et valorisant pour le pays.
Pour l’ensemble du réseau :
1. Assurer un maillage territorial complet ce qui implique notamment :
- L’implantation de l’enseignement de l’arabe dans au moins un établissement dans chaque département de France et son renforcement dans les grandes villes où il est anormalement sous-dimensionné (Lyon ou Rennes par exemple). Rappelons que 44 départements français sont dépourvus de poste d’arabe.
- L'implantation de l'arabe dans des établissements centraux, attractifs et bien desservis, dans chaque agglomération, afin d'optimiser le taux d'heures d'enseignement par élève.
Ce maillage pourrait être réalisé sans aucun surcoût, en pilotant l'ouverture des sections d'arabe non plus au niveau des établissements mais au niveau départemental ou académique, ce qui permettrait une répartition optimale des enseignants, dont un trop grand nombre sont aujourd'hui en sous-service. De même, les regroupements inter-établissements, à condition d'être soigneusement organisés, pourraient permettre d'améliorer encore le taux d'heures d'enseignement par élève.
Pour le primaire et le secondaire :
2. Maintien de l’ouverture des concours de recrutement (CAPES et agrégation) et réouverture des concours internes et du CAPLP.
3. Favoriser une collaboration accrue entre les ELCO21] et l’Education nationale, afin de :
- garantir un enseignement de l’arabe en LV1 dès l’école primaire (l’écrasante majorité des professeurs des écoles n’étant pas formée pour cela)
- garantir à ces enseignants de l’ELCO un accès à des formations pédagogiques adaptées à leur public et aux pratiques pédagogiques de l'éducation nationale.
- mieux informer les familles des élèves bénéficiant de l'ELCO de la possibilité de poursuivre l'étude de l'arabe au sein de l'enseignement secondaire dispensé par l'éducation nationale.
4. Créer des enseignements bi-langues au collège pour assurer la continuité avec l'enseignement de l'arabe dans le primaire et les ELCO et permettre à ceux des 40 000 élèves qui bénéficient de cet enseignement de l'approfondir dans le cadre de l'enseignement secondaire dispensé par l'éducation nationale.
5. Lier le choix de l’arabe à l’excellence et à la réussite des élèves :
- par la création de classes selon le dispositif des Sections européennes et de langues orientales ;
- multiplier les sections internationales. La vitalité de la section internationale de Grenoble (qui n'est que la 16ème ville de France et la 12ème agglomération par sa population) montre qu’il existe une demande qui ne demande qu'à émerger.
- par le renforcement de l’enseignement de l’arabe en CPGE et STS.
6. Assurer une plus grande diffusion de l’information sur l’offre et les caractéristiques de l'enseignement de l’arabe en France dans l’éducation nationale, notamment auprès des personnels de direction.
Pour le supérieur
7. Mettre en place une politique de soutien des enseignements de l’arabe d’une part, et de la recherche en études arabes de l’autre. Alors que le nombre d'étudiants en arabe a fortement cru depuis le début des années 2000, on constate que, cette année, aucun poste d'arabe n'a été créé (les quelques postes ouverts sont des remplacements ou les conséquences de décisions antérieures).
8. Soutenir les centres de recherche français dans les pays arabes, avec à leur tête des spécialistes alliant à une haute qualification scientifique une connaissance réelle de la langue et de la civilisation arabes.
9. Maintien et développement d’un système de bourses cohérent pour les séjours à l’étranger des étudiants arabisants.
Pour l’édition
10 Soutenir l’édition spécialisée afin de favoriser l’édition d’ouvrages en sciences humaines et sociales dans les domaines qui souffrent de déficit : anthropologie religieuse de l’islam médiéval, littérature classique, étude de l’islam en général. Mettre entre les mains du grand public cultivé un plus grand nombre de productions de qualité scientifique élevée et de vulgarisation de bon niveau.
Pour de plus amples informations, référez-vous aux Actes du colloque du centenaire de l'agrégation d'arabe, et notamment à la synthèse de R. Dumas, dont ces propositions sont largement inspirées.