mardi 8 juin 2010

Où vont nos engagements géopolitiques, laïcs et sociaux ?

Le Monde a publié le 8 juin dernier une tribune de Pierre-Louis Reymond, qui s'exprimait en son nom propre, et non en tant que président de l'AFDA.



Parce que les engagements géopolitiques, laïcs et sociaux, ensemble, se trouvent aujourd'hui malmenés par un raisonnement à court terme, budgétaire, gestionnaire et mécanique, le temps est venu de nous mettre en face de nos engagements…

Les menaces de suspension du Capes d'arabe qui planent actuellement au sein de l'éducation nationale soulèvent un problème de taille : va-t-on abandonner, avec toutes les implications idéologiques que cela comporte, l'enseignement de la langue et de la culture arabes à des structures associatives, le plus souvent confessionnelles, et se prendre ainsi au propre piège de l'enfermement communautaire que nous ne cessons pourtant de dénoncer ?

Il faut croire que le gouvernement n'en est pas à une contradiction près. A l'heure où, jadis ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy s'était saisi avec courage du dossier épineux de l'institutionnalisation d'un islam de France, à l'heure où, élu président, il décidait la réintégration de la Syrie dans le concert des partenaires avec lesquels il faudrait désormais compter dans les négociations pour la résolution des conflits au Proche-Orient, à l'heure où, lucide, il décidait de la création des premières assises de l'enseignement de la langue et de la culture arabes en France, à l'heure où des signes forts étaient émis en direction d'une région du monde dont l'histoire ne cesse de nous montrer qu'elle est pour nous un partenaire historique, géopolitique et économique incontournable…

LE DIKTAT D'UNE LOGIQUE COMPTABLE

A l'heure où ces marques de vigilance significatives étaient portées à des facteurs qui engagent le destin et la position de la France dans le monde, à l'heure où l'on commençait à ouvrir sérieusement le dossier de l'exception culturelle d'une laïcité bien comprise, mon inquiétude est vive. Elle est vive parce qu'en ramenant la langue et la culture arabes en France au statut de discipline rare, on bascule à nouveau dans le contresens que l'on semblait avoir cessé de commettre : l'étroitesse de nos relations avec le Maghreb et le Moyen-Orient, à de nombreuses reprises manifestées sur la scène diplomatique par le président, la volonté louable de décommunautariser notre espace social, la nomination d'un commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, le souhait manifesté officiellement par un président de la République, pour la première fois dans l'histoire de notre pays, que "davantage de jeunes Français reçoivent en partage la langue arabe", tout cela va-t-il être freiné par le diktat d'une logique comptable à l'issue de laquelle, si elle est appliquée, l'impact des économies réalisées par la coupe budgétaire envisagée sera infinitésimal au regard des risques que nous courons à voir une discipline, une culture et une civilisation, qui sont au cœur de notre actualité régentées, contrôlées et orientées par ceux qui ne manqueront pas de s'autoproclamer spécialistes d'un domaine que ni leurs qualifications, ni leur compétence ne leur permettent de maîtriser.

Ces esprits qui nous gouvernent, et auxquels on fera crédit qu'ils ne sont pas dénués d'intelligence, devraient se rappeler de toute urgence ce que disait la philosophe Simone Weil de l'argent : "Il l'emporte sans peine sur tous les autres mobiles, parce qu'il demande un effort d'attention tellement moins grand. Rien n'est si clair et si simple qu'un chiffre". Et les dégâts qu'il peut engendrer aussi.



Pierre-Louis Reymond, agrégé de langue et littérature arabes.


Source: lemonde.fr